Vendredi 5 juin 2009 5 05 /06 /Juin /2009 08:09
Pour ce texte, Camille m'a fait l'honneur d'une illustration originale et je l'en remercie encore vivement.


Baiser sous la tonnelle

 

- Chéri, la météo annonce du beau temps, on pourrait remonter la tonnelle. Qu’est-ce que tu en penses ?

La tonnelle, c’est  notre salon d’été. Douze mètres carrés de toile bleue sur armature en aluminium boulonnée dans le béton de la terrasse, avec moustiquaire, grande table de jardin en teck, rideaux, double toit pour la ventilation, éclairage électrique, balancelle et clématites… On y prend les repas, on y fait la sieste, on y reçoit les voisins et amis, on y baise.

Eté oblige, il faut être patient. Alors, en attendant, on mange des salades tomate-mozarella à l’huile d’olive, avec du basilic frais du jardin et un filet de vinaigre balsamique ; ou encore du melon accompagné de tranches de jambon de Parme si fines qu’on peut voir le crépuscule à travers.

Il y a des nuits d’été propices à l’amour sous la tonnelle. Des nuits où les vers luisants paradent dans l’herbe rase, des nuits où fanfaronnent les grillons et les grenouilles, des nuits au ciel constellé avec parfois un orage qui gronde au loin, des nuits moites sans lune aucune, des nuits à la brise marine si légère qu’elle semble une vibration, des nuits de tendresse.

On a prolongé le dîner au-delà du raisonnable. Les enfants sont allés se coucher ou, plus sûrement, se gaver de jeux vidéo et de blogs pubères dans leurs chambres closes. Aussi, on reste là tous les deux, un peu désemparés de se retrouver seuls dans l’épaisse pénombre. Certes, on pourrait allumer l’ampoule électrique de l’abat-jour, mais on redoute la danse fébrile des papillons de nuit.

Dans l’obscurité, je la distingue à peine, si ce n’est la tache claire et mouvante de sa robe de coton blanc. Elle est dans la balancelle, à moitié couchée sur les coussins, jambes repliées, les pieds nus sous les fesses. On parle peu. Quelques phrases sans importance. L’instant n’est pas aux conversations sérieuses ou aux sujets qui fâchent. Alors, on ne parle ni du boulot, ni des enfants, ni du lave-vaisselle en panne…

J’ai tiré les rideaux sur trois côtés, laissant grand ouvert celui qui donne sur le parc dont les frondaisons nous protègent des regards de la rue.

Ensemble dans la balancelle, nous retrouvons de fugitives sensations d’enfance, lorsque nous passions de longs moments à la balançoire. Nous étions alors totalement étrangers l’un à l’autre et pourtant éprouvions les mêmes émois au plus secret de nos ventres quand nous nous élancions vers le ciel, à grands éclats de rires et de frayeur.

Avec les années, les rires sont devenus soupirs, la peur a laissé place au désir. Elle ne porte ni soutien-gorge, ni culotte, mais elle a conservé l’intégralité de son triptyque naturel. Ses aisselles et son mont de Vénus captent dans leurs boucles noires les parfums du jardin. Au printemps, ses touffes respirent les senteurs du chèvrefeuille et du seringat. Dans les mauvais jours, elles ont des relents de coriandre ou d’oignon. Mais, en cette nuit d’été, tous ses poils intimes exhalent le thym et la lavande fleurie.

Je me fais bourdon pour m’abreuver du pollen de sa fleur baveuse. Il n’y a pas besoin de fermer les yeux pour se croire au paradis. De sa fente pourpre, montent des parfums de miel. Elle mouille autant que je bande. On s’embrasse, on se caresse, on se lèche, on se balance pendant qu’un crapaud lance la note claire de son chant amoureux, comme la ponctuation de notre sérénade sensuelle. La suite n’est qu’affaire d’improvisation au gré des humeurs et des opportunités. On peut baiser furieusement appuyés contre la table en teck, tendrement crucifiés à l’armature en aluminium, les bras en l’air et le ventre en feu, ou simplement emboîtés dans le nid de coussins de la balancelle qui tangue.

En sueur, on finit par s’assoupir. Tard dans la nuit, je suis réveillé par le chant aigu d’un moustique matinal qui vient de me piquer la bite encore poisseuse de sperme refroidi. Il est grand temps d’aller se coucher.


© Michel Koppera, juin 2009


Par michel koppera - Publié dans : inédits - Communauté : Fantasmes et écriture
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