Mardi 4 novembre 2008 2 04 /11 /Nov /2008 09:12

Le blog a un an, jour pour jour. Vous avez été des milliers ( des milliers et des milliers ! ) à le visiter et je vous en remercie. Pour souffler cette première bougie, je vous offre en cadeau un texte inédit « Fa », accompagné d’une série de dessins issus de mes albums personnels. Un seul bémol à cette fête d’anniversaire, votre absence de commentaires… Difficile de savoir ce que vous aimez, ce que vous préférez, ce que vous aimeriez lire ou voir, vous passez et vous ne dites rien ! Alors si j’avais un vœu à formuler aujourd’hui, ce serait : » faites-moi un signe ». Si vous ne souhaitez pas laisser de commentaires sur ce blog, vous pouvez toujours me laisser un message perso en écrivant à mkoppera@orange.fr  Discrétion garantie. D’avance merci. Bonne lecture et tous mes voeux de succès à Barak Obama.

 

Fa.

 

Aussi loin qu’elle s’en souvienne, Fa n’a jamais été enfant. Certes, elle a une date de naissance, comme chacun de nous, mais il lui semble qu’elle n’a jamais été la petite fille des albums de famille. Elle s’est toujours connue femme, avec des touffes de poils sous les aisselles, des règles douloureuses et une aguichante paire de seins…

Fa n’a qu’une ambition, celle d’exister un peu. Elle habite dans le studio du troisième étage, à droite en sortant de l’ascenseur. Vous n’avez peut-être jamais remarqué cette porte, de même que vous n’avez jamais rencontré Fa. Il est vrai que Fa se lève tôt et ne rentre que fort  tard, lorsque vos lampes de chevet sont déjà éteintes… Et puis, le bouton de la minuterie de l’étage se trouve à gauche en sortant de l’ascenseur. Le dimanche, Fa reste chez elle. À l’heure du tiercé, elle est encore au lit. On ne l’entend pas. Elle dort, elle fait la grasse journée…

Fa est grande, un peu trop peut-être. Elle n’a pas encore trente ans. Elle se trouve grosse, c’est ce qu’elle se plaît à répéter, à se répéter. Quand elle se regarde dans le miroir, elle ne voit que ses hanches épaisses et un peu de peau d’orange sur ses cuisses. Elle marche lentement et ses gestes, même quotidiens, sont d’une langueur pesante mais sensuelle.

Pour aller au bureau, Fa passe souvent une jupe fendue sur le côté, jusqu’au dessus du genou,  et chausse de hautes bottes de cuir fauve. Quand il pleut, elle s’enveloppe d’une grande cape qui lui arrive à mi-mollet. Elle a aussi un parapluie, mais elle ne craint pas les averses. Ses cheveux bruns tombent négligemment sur ses épaules et, pour se recoiffer, il lui suffit d’écarter des doigts la lourde mèche qui, par grand vent, flotte devant ses yeux noisette.

- Ah, merde ! dit-elle en cherchant l’interrupteur de la minuterie qui vient de s’éteindre dans le garage au sous-sol de son immeuble.

Sa voiture est bleu nuit et toujours impeccable. C’est un cabriolet de petite cylindrée car Fa n’aime pas les grosses voitures et quand un camion l’oblige à ralentir, elle ne cherche pas à le doubler mais le suit docilement. Elle s’en remet au hasard si bien que Fa arrive parfois en retard à son travail.

Donc, chaque matin, Fa se regarde dans le miroir, passe sa main sur son visage comme pour se reconnaître. Elle observe avec minutie son long nez à l’arête saillante et sa bouche finement ourlée, aux lèvres d’un rouge pâle, presque pulpeux. Fa supporte mal la proximité de son nez et de sa bouche. Elle les voudrait semblables, dans la laideur ou la beauté, qu’importe du moment que l’ensemble soit harmonieux. Fa souffre du déséquilibre de son visage. Cependant, Fa ne se maquille pas ; elle n’a rien à cacher.

Chaque jeudi soir, Fa passe par le kiosque à journaux pour acheter le Nouvel Obs. Elle le lit toutes les semaines.

Dans son studio, Fa vit au ras du sol, près du radiateur, dans un amas de coussins ventrus et de pelisses moelleuses. C’est là qu’elle s’allonge, toute nue, qu’elle ouvre le magazine et le lit en se grattant l’aile du nez avec l’ongle de l’auriculaire gauche, si bien qu’une petite rougeur est apparue, puis un bouton, puis encore plus tard, une petite croûte sans cesse renouvelée. Fa entretient une sourde colère contre l’ongle de son auriculaire, mais elle ne s’est pas encore décidée à le tailler court.

Fa lit le Nouvel Obs du premier au dernier article tout en fumant quelques Dunhill et en sirotant un whisky pur malt. Fa aime la douceur de l’ivresse où se mélangent le parfum du tabac, la saveur âpre de l’alcool, la chaleur des coussins et la solitude.

Fa vit seule ; elle ouvre rarement sa porte.

Le jeudi soir, quand la nuit tombe, Fa baisse les volets et allume une petite lampe qui plonge la pièce dans un bain de sang. Alors, elle se verse un second whisky, allume une nouvelle cigarette, se choisit un album de Sade, Lovers Rock, et se laisse aller. Elle regarde les photos des mannequins sur les pubs de parfum pour homme… Fa a appris que jouir est un art. En pleine page, il y a un beau brun au regard ombrageux. Fa glisse sa main entre ses cuisses nues, dans l’épaisseur de sa touffe. Avec le temps, son index s’y est construit un nid. Fa se branle toutes les nuits, dans l’obscurité furtive de son lit, mais le jeudi soir, elle reçoit son index comme un amant. Elle se donne à lui. Il parcourt les sentiers familiers de son plaisir, les pistes étroites et huileuses qui serpentent autour de son clitoris.

Elle a un premier orgasme, du bout des doigts.

Plus tard dans la soirée, elle joue avec ses deux compagnons de latex : un gode vibrant, plus vrai que nature, avec belle paire de couilles et variateur de vitesse, qu’elle appelle Arnold – en hommage à Conan le Barbare – et un autre tout noir, plus gros mais tout aussi doux et performant, à qui elle a donné le surnom de Malcolm X… Elle ne saurait dire quel est son préféré, chacun a son charme. Les soirs de grande solitude, il lui arrive de se donner aux deux en même temps, même si après elle se sent un peu honteuse.

Fa dit qu’elle n’aime pas les hommes, que ce sont tous des salauds. Cependant, elle n’a jamais osé faire le premier pas vers une femme.

Malgré tout, Fa éprouve parfois des envies de chair vivante. Alors, elle prend sa petite voiture à deux places, ouvre plus que de raison la fente de sa jupe et remonte lentement l’Avenue des Facultés, à l’heure où les étudiants font du stop pour regagner la cité universitaire qui se trouve loin du centre ville… Et quand, au hasard d’un feu rouge, l’un d’entre eux glisse ses doigts entre les cuisses entrouvertes de Fa, elle le suit dans sa chambre, se laisse renverser sur le lit à une place, s’ouvre en grand, s’abandonne à toutes ses fantaisies… Elle jouit sans se soucier de l’autre. Elle ne jouit pas de l’inconnu mais de sa grosse bite juvénile qui comble son ventre et explose soudain au plus profond.

Les autres soirs de la semaine, Fa s’occupe encore de son corps : elle pratique le yoga, un peu la natation et s’intéresse à la bio-énergie. D’ailleurs, Fa aime être « quelqu’un d’autre ». Alors, elle rêve. Elle rêve de dormir une nuit dans un lit rond, de se laver dans une grande baignoire carrée creusée dans le sol, à la manière des thermes antiques. Elle y inviterait ses amies qui la couvriraient de caresses interdites, car en rêve, fa a aussi des amies.

Dès qu’elle le peut, Fa prend des vacances. Elle ne va pas à la plage en été ou à la montagne en hiver. Non, elle participe à une marche contre le nucléaire ou les OGM, ne rate jamais le off d’Avignon et passe Noël à Londres. Quand elle revient, elle n’a rien à raconter mais, pendant plusieurs semaines, elle ne se gratte plus l’aile du nez en lisant le Nouvel Obs.

Comme tous les soirs, Fa est nue et s’étire voluptueusement entre les coussins. Elle est allongée sur une épaisse peau de mouton d’une blancheur laiteuse. Comme un gros bébé d’amour.      

Par michel koppera - Publié dans : inédits - Communauté : Fantasmes et écriture
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