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Mardi 24 mai 2022 2 24 /05 /Mai /2022 08:00

"Le goût des garçons" est un court roman (172 pages) paru en 2022 aux Éditions Grasset dans la collection "Le courage". Joy Majdalani est une auteure née en 1992 à Beyrouth et qui vit depuis 2010 en France.

Au Liban, la narratrice a tout juste 13 ans. Elle est scolarisée en 4ème au Collège  Notre-Dame de l'Annonciation. Malgré (ou à cause de) une éducation très puritaine et répressive, elle ne pense qu'à une chose : les garçons !

Page 95-96 : la narratrice, le soir, seule dans son lit, explore son corps nu

"J'étais tourmentée dans ma couche par mon imagination. Pour chasser l'excitation, je tâtais sans conviction la surface de mon pubis. J'avais entendu à la télévision, lu dans les magazines du salon de coiffure, que les femmes mûres s'adonnaient volontiers à cet exercice. Je descendais vers des régions que je connaissais peu. Si j'y avais aventuré un doigt ou deux, j'avais vite été rebutée par les broussailles. La tristesse me coupait l'appétit : je ne viendrais jamais à bout d'une pilosité aussi dense. Je pouvais dompter les poils qui poussaient sur les surfaces lisses et exposées de mon corps, mais cette touffe-là, je ne saurais jamais par quel bout la prendre, ni jusqu'où s'enfonçaient ses racines. Je me disais alors que ma vulve était laide. Ce foisonnement préfigurait la monstruosité qui grouillait entre mes jambes, signalai une anomalie qui serait bientôt découverte. Je n'avais pas le cœur de mener cette expédition vouée à l'échec. Je pensais parfois être privée de trou : mon pubis avait cicatrisé, la peau ne comportait aucune entaille, aucune crevasse pour les garçons. D'autres fois, j'étais persuadée que mon vagin était si large, béant, ouvert, qu'à peine effleuré il perdrait son hymen et vomirait le sang et le pus qui y macéraient. Il valait mieux ne pas le titiller. Même lorsque les soupirs précipités d'Alex (son petit ami du moment) m'enflammaient le sexe et les tétons, je laissais l'excitation couler, déployais de grands efforts de concentration pour la maintenir dans mon corps le plus longtemps possible avant qu'elle ne s'évapore." 

majdalani

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Vendredi 13 mai 2022 5 13 /05 /Mai /2022 08:00

"Le Conformiste" est un roman paru en Italie en 1951. Il n'est édité en version française qu'en 1985 chez Flammarion. Aujourd'hui, on trouve ce roman de 340 pages dans la collection de poche GF (Garnier-Flammarion) n° 415, dans une traduction de Claude PONCET et une préface de Gilles de VAN

Rome au milieu des années 30. Marcello est un jeune fonctionnaire affecté dans un ministère chargé de surveiller et neutraliser les opposants au régime fasciste de Mussolini. 

Extrait pages 131-132. Marcello rend visite à Julia, sa fiancée. Les voici, seuls en tête-à-tête, chez la mère de Julia

" Julia était, à vingt ans, plantureuse comme une femme de trente ; ses formes trop abondantes manquaient de finesse et de distinction, mais sa fraîcheur et sa santé révélaient à la fois sa jeunesse et on ne savait quelle exubérance charnelle. Elle avait le teint très clair, de grands yeux lumineux, sombres et languissants, d'épais cheveux châtains tout ondulés, une bouche en fleur, très rouge. En la voyant venir à lui, vêtue d'un tailleur de coupe masculine, dans lequel ses formes épanouies paraissaient comprimées, Marcello pensa avec satisfaction qu'il épousait une fille vraiment normale, tout à fait dans la moyenne, assortie au style même de ce salon qui lui donnait, un instant auparavant, une impression de sécurité. (...) Marcello la regarda et remarqua qu'à l'impétueuse désinvolture de son entrée, avait succédé une contrainte subite, signe indubitable d'un trouble envahissant. Puis, tout à coup, elle se tourna vers lui et lui jetant les bras autour du cou, elle murmura : – Embrasse-moi !

Marcello la prit par la taille et la baisa sur la bouche. Julia était sensuelle et dans ces baisers qu'elle était toujours la première à réclamer de Marcello, plus réservé, il y avait toujours un moment où la sensualité s'éveillait, se manifestait, modifiant le caractère chaste, concerté, de leurs rapports de fiancés. Cette fois encore, leurs lèvres allaient se disjoindre, quand elle eut comme un sursaut de désir lascif et passant brusquement ses bras autour du cou de Marcello elle colla fortement sa bouche contre la sienne. Il sentit la langue de Julia s'insinuer entre ses lèvres, frémir sur sa langue, en caresses rapides et savantes. En même temps, Julia lui avait saisi la main, la guidait vers sa poitrine et la posait sur son sein gauche. Son souffle était ardent et le bruit de sa respiration avait quelque chose d'animal, de primitiif, d'insatiable."

moravia conformiste

Illustration de Ludwig Bock (1886-1976)

erratum : Un lecteur m'a informé qu'il possédait une édition de poche du Conformiste dans la collection J'ai lu datant de 1971 avec un copyright détenu par Flammarion depuis 1952. Cette édition en français faisait suite à la sortie en 1970 du film adapté du roman par Bernardo Bertolucci (avec Jean-Louis Trintignant dans la rôle titre et Stefania Sandrelli dans celui de Julia)

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Mardi 3 mai 2022 2 03 /05 /Mai /2022 08:00

"La plus secrète mémoire des hommes" est un somptueux roman de 457 pages paru en 2021 aux Editions Philippe Rey/ Jimsaan et couronné par le prix Goncourt.

Extrait pages 380-381 : Diegane, le narrateur, se souvient de sa nuit précédente aux côtés de son amie Aïda

" Il n'y a pas de calme avant la tempête.

Hier soir, pendant que nous faisions l'amour, j'ai regardé à l'intérieur d'une gouttelette qui coulait le long du corps d'Aïda. J'étais en-dessous d'elle. Je cherchais son visage, mais sa position le dérobait à mes yeux. La vigueur de la cavalcade tendait avec brutalité son buste, et je voyais nettement l'arc sensuel de son dos. Ses longs cheveux me flattaient les cuisses et lui caressaient la naissance des fesses, le bas du dos. Dans cette tension, je distinguai ses côtes, les plissures de son abdomen, le dessin de sa cage thoracique, les deux coupoles de ses seins. Entre des deux dunes de chair, son menton s'avançait comme une petite pyramide. C'est là, à la pointe du menton, qu'apparut la goutte.

Elle glissa lentement et ressembla bientôt à une petite stalactite accrochée à la paroi du menton. J'attendis avec anxiété qu'elle en tombât. Un mouvement des reins plus intense d'Aïda la précipita sur sa gorge, et son odyssée sur ce corps commença. Quand elle s'engagea entre les deux seins, je commençai à discerner à l'intérieur d'elle, comme dans l'orbe d'une voyante, de confuses visions. Un homme suivait une femme dans la rue où ils étaient seuls ; et l'homme l'appelait, mais la femme ne se retournait pas, sans que je sache si elle l'ignorait ou ne l'entendait pas.

La goutte passa le plexus. Je vis l'homme courir, lentement d'abord, de plus en  plus vite ensuite, vers la femme. L'homme, en courant, en continuant à crier, dans le silence de la rue, le nom de la silhouette qui ne semblait toujours pas l'entendre ou se décider à lui répondre, se mit à pleurer, et cette scène était si désespérée, elle me rendait si triste, que je crus un instant que j'allais pleurer aussi, et l'aurais fait si je ne m'étais pas secoué et retenu.

Le nombril approchait maintenant après que la goutte venait de traverser une forêt de grains de beauté sur l'abdomen d'Aïda, dont les mouvements devinrent plus patients, longs, précis, vitaux, ce qui, je le savais, annonçait toujours chez elle la jouissance. Je sentais les lents spasmes de son sexe autour de ma verge, et la crue grossissant en elle, et l'étoile blanche en elle qui allait bientôt exploser et éclabousser l'univers jusqu'en ses confins inconnus. Dans la goutte, dans la rue, la femme se retourna enfin, et son visage était beau, bien qu'elle parût surprise de voir cet homme qui courait derrière elle en criant son nom. L'homme arrivait presque à hauteur de la femme. Mais au lieu de ralentir pour s'arrêter, il continua à courir et à crier le nom d'une femme.

La goutte passa de très près au bord du gouffre du nombril mais n'y tomba pas. Elle glissait désormais vers le pubis. Aïda se pencha vers l'avant et ramena la tête près de mon visage, que recouvrit la masse brune de ses cheveux. Son corps se crispa dans une brutale contraction, elle colla son front au mien, ses mains se joignirent sous ma nuque, la serrèrent, et le cri qui jaillit non de sa gorge, non de sa bouche, non de sa poitrine ou de son ventre, mais d'elle tout entière, s'accompagna d'un souffle qui me rappelait que j'étais et serais à jamais exclu de le comprendre, mais seulement admis à former son cortège ou son ombre."

mm sarr memoire des hommes

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Vendredi 8 avril 2022 5 08 /04 /Avr /2022 08:00

Claire CASTILLON : "Les cris" roman paru en 2010 aux Editions FAYARD ( 190 pages).

Récit de la difficile séparation entre la narratrice et Adam. Le travail d'écriture de cette rupture est incarné ici par le "monstre textuel"

Extrait pages 105-106. 

" Adam m'a donc téléphoné pendant que le chien luttait pour ne pas sortir. Il voulait rester avec sa maîtresse. Le téléphone a sonné longtemps. J'ai même fini par me boucher les oreilles, je ne pouvais pas interrompre mon programme. Voilà Adam, me suis-je dit, il revient, la queue basse, combien de temps déjà ?

Je répondrai au prochain appel. Il est important d'amener Adam à penser que je ne suis pas barricadée chez moi à l'attendre. Es-tu fière de tes bas réflexes ? enrage le monstre textuel.

Détourner son attention. Lui faire part d'informations récemment acquises. Le remplir pour qu'il me vide. J'ai lu que l'orgasme vaginal était si fort qu'il fallait le garder secret afin de ne pas culpabiliser les femmes clitoridiennes en le leur disant. J'ai aussi entendu que le foie gras était un aliment diététique, contrairement aux idées reçues. 

Le montre textuel me demande si c'est là tout ce que j'ai dans le crâne. Il ajoute : Naughty girl, au lieu de raconter des bêtises, sentez-vous ces odeurs de nous, mêlées entre vos cuisses ?

Je sursaute. Vouvoiement ?

À la télévision, la femme dit : J'aime vivre avec mon molosse. J'aime qu'il m'attende quand je rentre. J'aime son odeur, j'aime son poil, son haleine. j'aime son dynamisme, sa vigueur, sa compagnie, sa fidélité. Mais parfois c'est du travail, je me demande si je l'aime. Ou si j'aime la mousse autour de lui.

Je suis certaine que la femme dit cela.

Après, je me concentre pour ne pas quitter la femme. Comme si j'écoutais une chanson dont on arrêtait soudain la musique, mais dont je devrais continuer à chanter le paroles. Si je perds la femme sous prétexte qu'elle quitte l'écran, je perds mon temps. Et si je perds le fil de sa journée, le monstre textuel va sonner le cloches.

Cela fait un moment que je caresse mon bras pour apaiser le monstre et tenter de l'endormir, mais une forte décharge ouvre mon entre cuisses.

Touchez-vous, dit le monstre textuel, tout chez vous m'excite ! Je vous veux, langue pendante, affûtée, aux abois, ne vous calmez pas. Laissez venir."

castillon-cris


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Mardi 22 mars 2022 2 22 /03 /Mars /2022 08:00

En 2012, j'avais déjà consacré un article à ce roman paru en 1984 aux "Editions de Minuit".  Marguerite DURAS , L'Amant. Ce second article est consacré au récit du premier rapport amoureux de la jeune narratrice avec son riche "amant" chinois.

Extrait n° 1 : pages 49-50. La narratrice a suivi son amant jusque dans sa garçonnière dans le quartier de Cholen, à Saïgon.

" Il dit : vous m'avez suivi jusqu'ici comme vous auriez suivi n'importe qui. Elle répond qu'elle ne peut pas savoir, qu'elle n'a encore jamais suivi personne dans une chambre. Elle lui dit qu'elle ne veut pas qu'il lui parle, que ce qu'elle veut c'est qu'il fasse comme d'habitude il fait avec les femmes qu'il emmène dans sa garçonnière. Elle le supplie de faire de cette façon-là.

Il a arraché la robe, il la jette, il a arraché le petit slip de coton blanc et il la porte ainsi nue jusqu'au lit. Et alors il se tourne de l'autre côté du lit et il pleure. Et elle, lente, patiente, elle le ramène vers elle et elle commence à le déshabiller. Les yeux fermés, elle le fait. Lentement. Il veut faire des gestes pour l'aider. Elle lui demande de ne pas bouger. Laisse-moi. Elle dit qu'elle veut le faire elle. Elle le fait. Elle le déshabille. Quand elle le lui demande il déplace son corps dans le lit, mais à peine, avec légèreté, comme pour ne pas la réveiller.

La peau est d'une somptueuse douceur. Le corps. Le corps est maigre, sans force, sans muscles, il pourrait avoir été malade, être en convalescence, il est imberbe, sans virilité autre que celle de son sexe, il est très faible, il paraît être à la merci d'une insulte, souffrant. Elle ne le regarde pas au visage. Elle ne le regarde pas. Elle le touche. Elle touche la douceur du sexe, de la peau, elle caresse la couleur dorée, l'inconnue nouveauté. Il gémit, il pleure. Il est dans un amour abominable.

Et pleurant il le fait. D'abord il y a la douleur. Et puis, après cette douleur est prise à son tour, elle est changée, lentement arrachée, emportée vers la jouissance, embrassée à elle.

La mer, sans forme, simplement incomparable. " 

duras-amant

Extrait n° 2  : pages 54-55 . Le même jour

" Je lui dis de venir, qu'il doit recommencer à me prendre. Il vient. Il sent bon la cigarette anglaise, le parfum cher, il sent le miel, à force sa peau a pris l'odeur de la soie, celle fruitée du tussor de soie, celle de l'or, il est désirable. Je lui dis ce désir de lui. Il me dit d'attendre encore. Il me parle. Il me dit qu'il a su tout de suite, dès la traversée du fleuve, que je serais ainsi après mon premier amant, que j'aimerais l'amour, il dit qu'il sait déjà que lui je le tromperai et aussi que je tromperai tous les hommes avec qui je serai. Il dit que quant à lui il a été l'instrument de son propre malheur. Je suis heureuse  de tout ce qu'il m'annonce et je le lui dis. Il devient brutal, son sentiment est désespéré, il se jette sur moi, il mange les seins d'enfant, il crie, il insulte. Je ferme les yeux sur le plaisir très fort. Je pense : il a l'habitude, c'est ça qu'il fait dans la vie, l'amour, seulement ça. Les mains sont expertes, merveilleuses, parfaites. j'ai beaucoup de chance, c'est clair, c'est comme un métier qu'il aurait, sans le savoir il aurait le savoir exact de ce qu'il faut faire, de ce qu'il faut dire. Il me traite de putain, de dégueulasse, il me dit que je suis son seul amour, et c'est ce qu'il doit dire et c'est ce qu'on dit quand on laisse le dire se faire, quand on laisse le corps faire et chercher et trouver et prendre ce qu'il veut, et là tout est bon, il n'y a pas de déchet, les déchets sont recouverts, tout va dans le torrent, dans la force du désir."

Note : difficile de trouver une illustration qui convienne pour ce genre de texte. Alors, à défaut, je vous propose cette "nipponnerie moralement correcte"


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Vendredi 11 mars 2022 5 11 /03 /Mars /2022 08:00

"Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier" est un roman de Patrick Modiano paru en 2014 dans la collection NRF de Gallimard (146 pages)

Jean Daragane se trouve malgré lui entraîné dans un étrange voyage dans le passé. Comme à son habitude, Modiano peint à petites touches et phrases lourdes de sous-entendus le portrait de personnages aux contours indécis. Comme celui de Chantal Grippay, une jeune femme qu'il avait rencontrée une première fois en compagnie d'un certain Gilles. 

Extrait n° 1 : page 55. Un soir, Jean la reçoit dans son petit appartement parisien 

" C'était l'heure de la nuit où les maquillages se craquellent et où on se laisse aller au bord des confidences.

— Vous boirez bien quelque chose ?

— Oh oui... quelque chose de fort... J'ai besoin d'un coup de fouet...

Daragane fut étonné qu'à son âge elle employât cette expression surannée. Il n'avait pas entendu les mots "coup de fouet" depuis longtemps. Peut-être Annie Astrand les utilisait-elle autrefois. Elle tenait ses mains serrées l'une contre l'autre, comme si elle cherchait à contenir leur tremblement. 

Il ne trouva, dans le placard de la cuisine, qu'une bouteille de vodka à moitié vide dont il se demanda qui avait bien pu la laisser là. Elle s'était installée sur le divan, les jambes allongées, le dos contre le gros coussin orange.

— Excusez-moi, mais je me sens un peu fatiguée...

Elle but une gorgée. Puis une autre.

— Ça va mieux. C'est terrible, ce genre de soirée...

Elle regardait Daragane, l'air de vouloir le prendre à témoin. Il hésita un instant avant de lui poser la question.

—  Quelles soirées ?

— Celle d'où je viens...

Puis d'une voix sèche :

— On me paie pour aller à ces "soirées"... c'est à cause de Gilles... Il a besoin d'argent...

Extrait n° 2 : page 58. La conversation revient sur ces "soirées"

" — Quand je reste seule à Paris, on me fait participer à des soirées un peu spéciales.. J'accepte à cause de Gilles... Il a toujours besoin d'argent... Et maintenant ça va être pire puisqu'il va se trouver sans travail...

Extrait n° 3 : page 61. Jean et Chantal viennent de découvrir qu'ils ont naguère habité dans le même immeuble et fréquenté les mêmes lieux de plaisir.

— J'avais un ami qui jouait aux courses, et aussi au casino de Charbonnières...

Elle semblait rassurée par ces paroles et elle lui lança un faible sourire. Elle devait penser qu'avec quelques dizaines d'années d'écart ils étaient du même monde. Mais lequel ?

— Alors, vous reveniez de l'une de ces soirées ?

Il regretta aussitôt de lui avoir posé la question. Mais apparemment elle se sentait en confiance

— Oui... C'est un couple qui organise des soirées d'un genre un peu spécial dans leur appartement... Gilles a travaillé un moment chez eux comme chauffeur... Ils me téléphonent de temps en temps pour me faire venir... C'est Gilles qui veut que j'y aille... Ils me paient... Je ne peux pas faire autrement..."

modiano-quartier

Des soirées dans ce genre-là ?


 

 


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Mardi 22 février 2022 2 22 /02 /Fév /2022 08:00

Jean-Claude IZZO : "Total Khéops". Polar paru en 1995 dans la collection Série Noire (N°2370) chez Gallimard (284 pages)

Extrait pages 251-252 : Fabio Montale, le flic narrateur, se souvient d'une balade en montagne en compagnie de Leila, une beurette dont il était secrètement amoureux.

" Leila marchait devant moi. Elle portait un short en jeans effrangé et un débardeur blanc. Elle avait ramassé ses cheveux dans une casquette de toile blanche. Des perles de sueur coulaient dans son cou. Par moment, elles étincelaient comme des diamants. Mon regard avait suivi le cheminement de la sueur dans son débardeur. Le creux des reins. Jusqu'à sa taille. Jusqu'au balancement de ses fesses.

Elle avançait avec l'ardeur de sa jeunesse. Je voyais ses muscles se tendre, de la cheville jusqu'aux cuisses. Elle avait autant de grâce à grimper dans la colline qu'à marcher dans la rue sur des talons. Le désir me gagnait. Il était tôt, mais la chaleur libérait déjà les fortes odeurs de résine des pins. J'imaginai cette odeur de résine entre les cuisses de Léila. Le goût que cela pouvait avoir sur ma langue. À cet instant, je sus que j'allais poser mes mains sur ses fesses. Elle n'aurait pas fait un pas de plus. Je l'aurais serrée contre moi. Ses seins dans mes mains. Puis j'aurais caressé son ventre, déboutonné son short.

Je m'étais arrêté de marcher. Leila s'était retournée, un sourire aux lèvres.

— Je vais passer devant, j'avais dit.

Au passage, elle m'avait donné une tape sur les fesses, en riant.

— Qu'est-ce qui te fait rire ?

— Toi.

Le bonheur. Un jour. Il y a dix mille ans. "

izzo kheops


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Mardi 8 février 2022 2 08 /02 /Fév /2022 08:00

"La femme gelée" est un récit autobiographique paru en 1981 chez Gallimard. Disponible en collection Folio n° 1818 (182 pages)

Annie Ernaux, enseignante, mariée, trentenaire et mère de deux enfants, a toutes les apparences d'une femme heureuse. Et pourtant c'est une femme gelée qui a peu à peu perdu le goût de la vie. Ses souvenirs la replongent dans son enfance et son adolescence, quand elle découvrait son corps et les premières manifestations du désir. 

Pour illustrer cet article, je vous ai choisi une photographie de Hans Bellmer (the Doll) qui m'a paru en accord avec le propos d'Annie Ernaux sur son adolescence.

Pages 70 et suivantes : années 50 : Annie a pour copine une certaine Brigitte

" Elle se laissait aller souvent, elle oubliait le langage de Nous Deux, Brigitte, sa surface de petite fille comme il faut fichait le camp. Ensemble, on parlait de "ça". Et de "ça", les filles, je le savais, ne doivent pas parler. Intarissable, informée, Brigitte, avec ses propos rigolards et crus me libérait tous les dimanches. Avec elle, le monde était un sexe immense, une formidable envie, un écoulement de sang et de sperme. Elle savait tout, que des hommes vont avec des hommes et des femmes avec des femmes, comment il fallait faire pour ne pas avoir de môme. Incrédule, je fourrage dans la table de nuit (de mes parents). Rien. De dessous le matelas je tire une serviette froissée, empesée de taches par endroits. Objet terrible. Un vrai sacrilège. Quel mot a-t-elle employé, celui des hommes, le jus, la jute, on ne connaissait pas, le savant peut-être, qu'elle avait lu quelque part, sperme, qu'est-ce que l'écrire à côté de l'entendre résonner dans la chambre de mes parents à treize ans. On se racontait des histoires à horrifier les adultes, n'importe quel objet devenait obscène. Jambes en l'air, sexes ouverts ou dressés, banalité des revues pornos, on faisait mieux en paroles et plus gai. Pas de discrimination, le masculin et le féminin se partageaient nos conversations techniques et blagueuses. Impossible avec Brigitte de sombrer dans la honte le jour où la première secousse m'a saisie sous les draps, elle rit, moi aussi ça m'arrive, mais ne va pas raconter ça au curé, ça ne le regarde pas.

Et quel triomphe de lui annoncer que je suis comme "ça" moi aussi, plus la peine de me faire des simagrées avec ses maux de ventre, moi je porte une nouvelle situation avec bien-être.

Non je n'avais pas imaginé ainsi, le geste tranquille de relever la jupe plissée, baisser la culotte et s'asseoir sans penser à rien, le bas des cuisses bridé par l'élastique. La surprise absolue. Voir ce que je n'ai jamais vu encore, mon sang à moi, celui-là. Un état finit. Je reste à regarder comme les cartomanciennes du marc de café. Ça y est. Voilà cinq minutes après ma mère plaisante faux, "c'est comme ça qu'on devient jeune fille". Ni plus ni moins jeune fille qu'hier, simplement un merveilleux événement. Impossible de dire à ma mère mon contentement, une chose à dire à la seule qui comprendra, Brigitte. Déjà le récit se déroule dans ma tête, figure-toi que lundi à l'école comme d'habitude. Lui dire aussi ma crainte que ça s'arrête d'un seul coup, que j'aurais aimé une belle source limpide et que c'est un suintement marécageux, et elle ?

Tout lui paraissait bon à dire. Sûrement cette parole libre qui me liait à elle, la même qui ensuite me fera honte. Pas de chochotteries comme à l'école, pas d'inavouable. "Moi j'aime bien regarder les poitrines des femmes au cinéma !" J'entends encore son ton assuré, les dimanches d'été, elle mâchouillait un brin d'herbe qu'elle recrachait régulièrement, "les femmes n'aiment pas faire ça, ma mère me l'a dit" et puis ses yeux de chat et son rire, "tant pis, moi j'aimerai !" Parler le corps et le rire surtout. Mais j'étais sûre que c'était mal. L'idéal : l'autre Brigitte, celle de la collection pour jeunes filles, qui allait aux expositions de peinture et ne disait jamais un gros mot. Ma Brigitte à moi, elle ne l'oubliait pas non plus, le code de la vraie jeune fille. "Moi j'aimerai ça !" mais elle se levait, tapotait sa robe gracieusement, faisait une petite moue de dignité, le nez en l'air. Tout ça, c'était entre nous, pas ainsi qu'il convenait d'apparaître aux autres sous peine de passer pour des vicieuses, des dessalées salopes. Même, il était tapi dans nos conversations secrètes, le code. Pas d'erreur, par Brigitte j'ai tout appris sur la virginité, la porte que l'homme ouvre dans la douleur, la marque de la bonne conduite, pas possible d'en dissimuler l'absence, sauf piqûres de citron et encore. Extasiée, la tête renversée, l'œil mi-clos, Renée, la copine de bureau de Brigitte, disait à la sortie de la messe : "Il m'a dit, si tu n'es pas vierge le soir du mariage, tu entends, je t'étrangle." C'était devant le magasin d'électro-ménager et de valises. Quel frisson. Et les filles mères, il n'y avait pas à pleurer dessus. Les hommes, eux, pouvaient baiser tant qu'ils voulaient, mieux au contraire qu'ils aient de l'expérience, qu'ils sachent nous "initier". Malgré mon enfance active, ma curiosité, j'ai accepté comme une évidence d'être en dessous et offerte, la passivité ne m'a pas répugné à imaginer, rêve d'un grand lit ou d'herbes face au ciel, un visage se penche, des mains, la suite des opérations ne m'appartient jamais. L'admettre, on osait décrire nos règles et nos envies, mais le mariage a commencé à me paraître obligatoire et sacré avec elle. Et tacitement, si on parlait de notre sexualité, on n'envisageait pas de pouvoir la vivre jusqu'au bout."

Ernaux Hans Bellmer

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Mardi 28 décembre 2021 2 28 /12 /Déc /2021 08:00

David Foenkinos, "Les souvenirs", récit autobiographique paru en 2011 chez Gallimard. Disponible en collection Folio n° 5513 (290 pages)

Pour terminer mon année littéraire, je vous ai choisi un paragraphe "hymne à l'amour" où le narrateur évoque son amour pour Louise. Elle est professeur à Etretat, il est réceptionniste de nuit dans un hôtel parisien et accessoirement écrivain. Je pense que tous ceux d'entre vous qui ont vécu les premiers temps de l'amour apprécieront la justesse de ces quelques lignes.

Pages 234-235. " Après cette étape où Louise avait eu besoin de digérer notre rencontre par le silence, nous avons repris notre histoire. À nouveau, on ne cessait de se parler. On s'écrivait toute la journée. Dès que je vivais quelque chose, j'étais heureux de le vivre uniquement parce que cela se transformait aussitôt en matière à partager avec elle. L'angoisse épuisante des premières semaines s'atténuait progressivement, et je retrouvais un état naturel. Louise me rejoignait souvent le week-end, et je me précipitais sur elle. Le manque accumulé pendant les jours loin l'un de l'autre aggravait le désir. Nous avancions vers une sexualité de plus en plus libre. Je lui demandais ses fantasmes, et elle chuchotait des péripéties érotiques dans mes oreilles heureuses. Elle jouait à être mon jeu. Elle me disait : je suis à toi, je fais tout ce que tu veux, je suis ton corps qui te reçoit et je suis ta bouche qui te boit. Elle lissait ses cheveux, mettait un serre-tête, conservait ses talons, susurrait quelques mots en allemand, et me disait : Oh oui, comme j'ai envie. C'était fabuleux ce temps de l'érotisme acide, où les heures passent aussi vite que la jouissance est retardée. Les mois avancèrent ainsi, avec l'emploi du temps dissocié de notre amour : l'esprit la semaine, et le corps le week-end."

foenkinos

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Mardi 14 décembre 2021 2 14 /12 /Déc /2021 08:00

Roman largement autobiographique paru en 1965 chez Jean-Jacques Pauvert, "L'astragale" débute par l'évasion de la narratrice, encore mineure, de la "maison d'éducation surveillée" où elle est enfermée. En  sautant le mur d'enceinte, elle se brise l'astragale (un os du pied). Aux côtés de Julien qui l'a recueillie, elle va s'épanouir et découvrir le monde. Disponible en collection Livre de poche n° 2418 (192 pages)

Extrait pages 107-108 :

" Depuis mon évasion, je ne côtoie que des ex-taulards, des repris et non-repris de justice ; bien sûr, en prélude à mes retrouvailles avec Rolande, je n'avais pas l'intention de fréquenter d'autre monde, je rêvais de mauvaises relations, de mauvais coups, d'un tas de mauvaises choses à lui étaler ; mais mes rêves s'effritent, l'été décroît, Rolande s'irréalise... Bonjour, c'est moi : tu vois, je suis venue. Que peux-tu, que veux-tu faire avec moi, demain, lorsque nous aurons mangé, bu, bavardé et dormi ensemble ? Crois-tu que je me soucie encore de pèleriner aux sources de ton derrière, maintenant que d'autres moyens de jouir et de pleurer me sont revenus ? Entre toi et moi, à chaque seconde, le temps monte son mur ; je reste dans la nuit, mais s'il y a quelque part une aurore et que j'en découvre le chemin, j'y marcherai sans m'appuyer à toi, Rolande, Rolande de merde que c'est ta faute si j'ai la patte esquintée, oui : je me serais tirée de toute façon, j'aurais rencontré Julien quand même, et je ne serais pas obligée aujourd'hui de penser à toi, ma douce, avec la reconnaissance et la rancœur du ventre. Je ne sais pas si je goûte encore les femmes et si je dédaigne toujours les hommes ; mais l'homme à goûter, la femme à dédaigner, je sais leurs noms... Julien... mais... je t'aime ! ...."

Julien, je ne veux pas galvauder les mots, je me ferme la bouche de tes baisers ; mais je comprends que l'heure est venue... que je ne peux plus gambader dans les traverses, qu'il va falloir me jeter sur une voie unique, oh ! Rolande, Julien, je m'écartèle..."

astragale

Commentaire. Je me souviens que la publication de l'Astragale avait fait scandale, sans qu'à l'époque je comprenne vrament pourquoi. Je l'ai lu lors de ma première année universitaire (en 1970-71) et là encore, je dois avouer que je n'en avais pas saisi la portée. Ce n'est que cette année, soixante ans plus tard, que j'ai réalisé à quel point le récit était novateur : une très jeune femme rebelle, encore mineure, y revendiquait son homosexualité (liaison avec Rolande) et sa potentielle bisexualité (attirance pour Julien). C'était tout simplement l'histoire d'une femme libre

Par michel koppera - Publié dans : lectures x - Communauté : Fantasmes et écriture
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